Brève histoire cistercienne
Collan
Vers 1070, un ermite se retire dans la forêt de Collan, près de Tonnerre, dans l'Yonne. Il attire des disciples. Bientôt ils sont sept, et ils demandent à un homme d'expérience de devenir leur guide, recourant même au pape pour parvenir à leurs fins. Cet homme, moine bénédictin, se nomme Robert. Entré jeune à l'abbaye de Moutier-la-Celle, près de Troyes, il en devient prieur à 25 ans. Puis, vers l'âge de 40 ans, il est appelé à gouverner Saint-Michel de Tonnerre et, deux ans plus tard, Saint-Ayoul de Provins, où l'on vient le chercher. Il est alors placé par Grégoire VII à la tête des ermites de Collan qu'il oriente vers la vie cénobitique.
Molesme
Bientôt le groupe qui s'accroie quitte la forêt marécageuse et insalubre de Collan. Il s'en va à Molesme constituer un vrai monastère dont Robert est l'abbé, et Albéric, un des ermites de Collan, le prieur. C'est là que les rejoint Etienne Harding, un Anglais qui rentre d'un pèlerinage à Rome. Placé tout jeune au monastère de Sherborne, il en était sorti et avait étudié sur le continent. Nous ignorons les lieux qu'il fréquenta, mais il est manifeste qu'il avait acquis une solide connaissance de la Bible et de tout ce que comprenaient les études cléricales.
Cîteaux
Au sein de la communauté, Robert rencontre alors une forte opposition à l'idéal de vie monastique qu'il poursuit. Aussi, pendant l'hiver 1097, s'en va-t-il à Lyon avec quelques moines, solliciter auprès du légat Hugues de Die, plénipotentiaire du pape, l'autorisation de fonder un 'Nouveau Monastère" avec les moines de Molesme qu'attire ce projet. L'autorisation reçue et confirmée par l'évêque de Chalon, ils partent à vingt-et-un, sous la houlette de Robert. Ils s'installent sur les terres de Renard de Beaune, dans le duché de Bourgogne, en un lieu situé aux confins du diocèse de Chalon ; c'est un endroit peu cultivé, où abondent les roseaux (cistel, cistellum), d'où son nom Cîteaux.
Dès les débuts, sur l'intervention du légat, le duc Eudes de Bourgogne apporte le nécessaire pour la subsistance des moines et la construction du monastère en bois. Le jour de Noël 1098, il offre une vigne située à Meursault. Elle deviendra célèbre !
Pendant ce temps, à Molesme, les moines se rendent compte qu’ils ont perdu l'estime de leur voisinage, et ils s’adressent au pape pour que Robert leur soit renvoyé. Obéissant à l'ordre du légat, Robert revient donc parmi eux, avec quelques moines qui n’aimaient pas la solitude.
La petite communauté de Cîteaux, désormais dirigée par Albéric, se remet difficilement de ce départ. Le travail ne manque pas : construction du monastère, défrichage et mise en valeur des terres, copie des manuscrits si nécessaires à la vie liturgique et spirituelle. Quelques vocations se présentent, mais très peu persévèrent, découragées sans doute par l'austérité de vie de la communauté.
C'est dans ce contexte difficile que meurt Albéric (1109) et qu'Étienne Harding devient abbé. Mais Dieu veille : selon la tradition, c'est l'arrivée de Bernard de Fontaine avec trente compagnons qui redonne courage à la communauté et permet d’envisager très vite des fondations. La Ferté (1113), Pontigny (1114), Clairvaux (1115) et Morimond (1117).
Le génie d'Étienne parvient à favoriser les créations tout en maintenant les exigences et l'esprit des origines : la Charte de charité et d'unanimité, en complément de la règle de saint Benoît, sera la référence commune pour l'organisation de ce qui deviendra plus tard l'ordre cistercien. Le texte de la Charte de charité est approuvé une première fois par le pape en 1119. Il contient déjà les principes essentiels qui doivent régir les communautés cisterciennes et dote l’ordre cistercien de mécanismes essentiels à son bon fonctionnement. En effet, la Charte de charité institue une visite annuelle de l’Église-mère [l’abbaye fondatrice] à sa fille : chaque année, l’abbé de l’Église-mère est tenu de visiter toutes les communautés qu’elle a fondées. De la même façon, la charte établit aussi un « chapitre général des abbés à Cîteaux » : tous les abbés cisterciens doivent se rendre une fois par an à Cîteaux pour une réunion générale.
L'esprit des origines
L'esprit des origines se distingue par la volonté de mener une vie authentique en retrouvant la pureté de la règle de saint Benoît et l'équilibre qui la caractérise. D'où le choix de la simplicité en tout, de la tradition dépouillée de tout ajout superflu. Ainsi, pour revenir au texte le plus exact de la Bible, Étienne n'hésite pas à interroger des rabbins juifs. De même, il envoie des moines copier les traditions du chant liturgique considérées comme les plus pures (à Milan pour les hymnes, à Metz pour le reste). Le même choix sur Ie plan artistique conduit à simplifier l'ornementation des manuscrits (sous l'influence de saint Bernard de Clairvaux), le matériel liturgique et l'architecture. Dans d'autres domaines, ce sera le choix d'une vie sobre, en particulier dans la nourriture et le vêtement.
Par ailleurs, le travail des moines doit assurer la subsistance du monastère et permettre de garder une saine distance par rapport au monde en s'établissant dans une plus grande solitude. De telles options exigent d'être portées par un élan intérieur, par une mystique, désir vécu d'une vie qui prenne Ia forme même de la vie du Christ dans sa passion et sa résurrection. Cette mystique est présente à Cîteaux. Elle seule explique la naissance du "Nouveau Monastère", appelé ainsi, non en raison de sa fondation récente, mais parce qu'il propose une manière renouvellée d'être moine.
La réussite de Cîteaux, dont la fondation répond bien à l'attente de son époque, est collégiale : Robert apporte la caution de son expérience et de son autorité ; Albéric, impliqué dans le projet de réforme dès Ie début, consolide la petite communauté fragile ; Étienne donne à l'ensemble des communautés une organisation de génie et des textes fondateurs, où se manifeste un même esprit ; Bernard, avec les auteurs de la deuxième génération cistercienne, synthétise, en de nombreux écrits, I'expérience des débuts, développant une véritable spiritualité.
Aujourd'hui dans le monde
Dans des situations politiques difficiles, voire dans un contexte de persécution religieuse récent ou encore actuel (Europe de I'Est, Extrême-Orient continental), le monachisme cistercien a survécu ou même a resurgi. Le martyre des sept frères cisterciens de Notre-Dame de l'Atlas (O.C.S.O., Tibhirine, Algérie), en mai 1996, a eu un très grand retentissement. Leur mort tragique a dévoilé aux yeux de tous, chrétiens ou non, ce qu'était fondamentalement leur vie humble et cachée, vie qui n'était pas différente de celles des autres communautés de la famille cistercienne aujourd'hui.
La stabilité dans une maison de vie contemplative au sein d'une Église locale et l'appartenance soit à un ordre international fortement structuré , soit, plus largement, à la grande famille cistercienne, sont des valeurs inappréciables et exemplaires à l'heure d'une mondialisation plus matérielle que véritablement humaine. L'actualité cistercienne se manifeste encore par un intérêt soutenu pour son histoire et son patrimoine, par sa présence au monde contemporain et sa participation au renouveau ecclésial, là où les communautés sont implantées.
La recherche d'une unité plus concrète entre les différentes composantes de la famille cistercienne est une préoccupation pour tous. Le neuvième centenaire de la fondation de Cîteaux a vu se réaliser ce qui constituait un grand défi et un grand espoir, lorsque, le 21 mars 1998, l'église rénovée de Cîteaux a accueilli des moines et des moniales de toute la famille cistercienne, venus célébrer ensemble cet anniversaire.
Cette célébration avait été précédée d'une "synaxe" (réunion) de trois jours à laquelle participaient des moines et moniales appartenant à toutes les branches de la famille cistercienne, ainsi que des représentants de groupes de laïcs. Le but, qui était de mieux se connaître, a été largement atteint et dépassé. Tous les participants ont fortement ressenti qu'ils vivaient le même charisme cistercien et que leur diversité était une grande richesse. Ainsi se renforce peu à peu l'unité de la famille cistercienne, comme l'a relevé le message adressé par la Synaxe à "tous les frères et sœurs de la famille cistercienne", et lu par un des abbés généraux à la fin de la célébration du 21 mars. Ce texte a été publié dans le volume, Cîteaux : une terre de silence où l'homme tient parole.
La famille cistercienne
La famille cistercienne est aujourd'hui nombreuse et diversifiée, l'histoire ayant engendré des évolutions, des réformes, des différences de coutumes ou d'adaptations, parfois exigées par la conjoncture politique. Des communautés nouvellement formées ont voulu ou veulent s'y agréger. Des laïcs demandent la possibilité de se rattacher, selon leur mode propre, à la même famille.
Les moines et les moniales
- Héritier du Cîteaux primitif par des abbayes prestigieuses, l'Ordre de Cîteaux (O.Cist) comprend des monastères de coutumes et de modes de vie assez divers (abbayes principales avec prieurés dépendants, abbayes autonomes, vie entièrement claustrale ou comportant des activités pastorales : enseignement, paroisses...). Il regroupe treize congrégations masculines ayant leurs statuts propres, certaines comportant une branche féminine. Des moniales sont, par ailleurs, réunies en fédérations (Espagne, Italie) ou possèdent un statut particulier.
L'O.Cist compte ainsi 65 monastères pour 1550 moines, 58 monastères pour 870 moniales. La plupart d'entre eux sont situés en Europe (Italie, Espagne, Pologne, République tchèque, Slovénie, Hongrie...) ; les autres sont implantés en Amérique du Nord, Amérique du Sud (Brésil, Bolivie), au Viêt-Nam, en Éthiopie.
- Cîteaux, l’abbaye source, dont les moines avaient été chassés au moment de la Révolution, a pu renaître en 1898 grâce à plusieurs communautés d’une autre branche de la famille : l'Ordre Cistercien de la Stricte Observance (O.C.S.O.), dont les membres sont communément - quoique improprement – appelés "trappistes" du nom de l'abbaye de La Trappe, dans l'Orne. Cet Ordre s'était constitué en 1892 par la réunion de trois congrégations cisterciennes. L'abbé de Cîteaux n'est pas le supérieur général de l’Ordre: l'instance suprême est constituée par le Chapitre Général, réunion de tous les supérieurs et de toutes les supérieures de monastères.
L'O.C.S.O. est répandu sur tous les continents avec 96 monastères d'hommes et 73 de femmes, dont une quinzaine sont de toutes récentes fondations, surtout dans les pays de "jeune chrétienté". Au total: 2000 moines et 1650 moniales.
- L'Ordre des Moniales Cisterciennes Bernardines d'Esquermes : 9 monastères en France, Belgique, Angleterre, R. D. du Congo, Japon, Burkina Faso.
- La Congrégation cistercienne de Saint Bernard, en Espagne qui regroupe 24 monastères de moniales, est juridiquement rattachée à I'O.C.S.O.-
- Les Sœurs Bernardines d'Oudenaarde (monastères en Belgique, au Rwanda, Tchad et Burkina Faso) vivent de la spiritualité cistercienne, surtout de saint Bernard.
Des communautés de moniales cisterciennes conservent leur autonomie juridique par rapport à l'O.Cist et l'O.C.S.O., mais entretiennent des liens avec eux :
- - les Cisterciennes Bernardines de Collombey (Suisse romande) ;
- - les cisterciennes de la Merci-Dieu (France).
Les communautés ne vivent pas isolées ; elles entretiennent au contraire entre elles des relations à plusieurs niveaux. Une communauté fondatrice n'abandonne pas sa "fille" avant qu'elle ne soit devenue autonome. Au-delà des liens juridiques, qui garantissent les droits de tous, les liens fraternels assurent la transmission de la sève cistercienne vivifiante.
Par ailleurs, selon une périodicité et des modalités propres à chaque ordre ou congrégation, les personnes en charge des communautés se retrouvent régulièrement en chapitre général pour traiter des questions de la vie de chaque ordre ou congrégation, sans jamais oublier l'existence concrète des communautés.
Les supérieurs généraux des ordres ou congrégations ont le souci de visiter leurs maisons et contribuent ainsi à maintenir l'unanimité dans l'esprit de la Charte de charité des origines.
Les laïcs cisterciens
La règle de saint Benoît, écrite au VIe siècle, pour des moines vivant dans des monastères, interpelle des personnes mariées, pères et mères de famille, et des célibataires. A côté des oblats rattachés à l'Ordre de Cîteaux ou aux Cisterciennes Bernardines d'Esquermes, aujourd'hui, dans divers continents et pays, des laïcs, proches des Cisterciens, trouvent dans cette règle un guide pour conduire leur vie. D'origine sociale très diversifiée, sans mener une vie de communauté permanente, ils découvrent, dans la vie et la spiritualité cisterciennes, des repères pour vivre leur foi. Le charisme cistercien devient un charisme partagé. La Règle devient alors pour eux chemin de conversion, approche d'un style de vie, d'une manière d'être où prière, travail et engagement dans la société s'harmonisent et trouvent une certaine forme d'équilibre.